Ceci est le premier volet d'une série en deux parties consacrées à l'histoire de l'impérialisme américain au Venezuela.
En mobilisant la plus grande armada américaine jamais déployée au large des côtes d'Amérique du Sud et en menant une campagne de frappes de missiles implacable contre de petites embarcations – ayant déjà coûté la vie à plus de 100 civils non armés – le gouvernement Trump a intensifié sa campagne de violence impérialiste dans la région. Cette escalade fut accompagnée d'un nouveau document de stratégie de sécurité nationale qui proclame fièrement un nouveau «corollaire Trump» à la doctrine Monroe.
Le Venezuela et ses réserves pétrolières, les plus importantes au monde, sont la cible immédiate des opérations prédatrices de l'impérialisme américain. Trump l'a clairement affirmé dans des déclarations aux médias et des messages virulents sur les réseaux sociaux. Il a juré que les attaques militaires américaines ne feraient que s'intensifier «jusqu'à ce que le Venezuela restitue aux États-Unis tout le pétrole, les terres et les autres biens qu'ils nous ont volés». Mettant ces menaces à exécution, Washington a procédé à la saisie de pétroliers en haute mer, une opération digne de la piraterie, et a imposé un blocus, un acte de guerre direct, visant à affamer le Venezuela et à le contraindre à la soumission.
Mais le prétendu «corollaire Trump», et les déclarations fascisantes et mafieuses de son homonyme à la Maison-Blanche, montrent clairement que les objectifs de Washington dépassent largement le cadre du Venezuela. Ils reviennent à une campagne pour recoloniser toute l'Amérique latine et soumettre entièrement la région aux intérêts financiers américains et aux préparatifs du Pentagone en vue d'une guerre mondiale.
Cette campagne s'est concrétisée par des menaces de bombardement du Mexique, des attaques contre le président colombien Gustavo Petro et l'imposition de droits de douane de 50 pour cent sur les produits brésiliens en soutien à Jair Bolsonaro, ex-président fascisant et putschiste condamné. Ces mesures s'accompagnent d'une ingérence flagrante de Washington dans les récentes élections, notamment des menaces de représailles économiques punitives contre les populations d'Argentine et du Honduras si elles ne votent pas pour des candidats proches de Trump.
L'origine et l'évolution de l'intervention américaine au Venezuela
Historiquement, le Venezuela a joué un rôle prépondérant dans l'évolution de la doctrine impérialiste américaine dans l'hémisphère occidental. Cela s'explique en partie par ses immenses ressources pétrolières qui, à l'apogée de la domination de Standard Oil, représentaient la moitié des profits que les capitalistes américains tiraient de l'Amérique latine.
Mais l’interventionnisme américain au Venezuela précède même, d’un peu plus d’une décennie, le début du forage pétrolier à grande échelle, et commença par ce qu’on a appelé la crise vénézuélienne de 1902-1903.
A cette époque aussi, on avait envoyé une flotte de navires de guerre au large des côtes vénézuéliennes. Des cuirassés avaient bombardé les ports, faisant des dizaines de morts, et des troupes étrangères avaient pris le contrôle des bureaux de douane.
Il y a cent vingt-trois ans, cette armada avait été envoyée par l'Allemagne, la Grande-Bretagne et l'Italie. Le prétexte invoqué était le refus du gouvernement vénézuélien, alors dirigé par le président Cirpiano Castro, d'honorer ses dettes.
Castro accéda au pouvoir en 1899, pour se retrouver confronté à une «révolution libératrice» menée par l'homme le plus riche du Venezuela, Antonio Matos, et soutenue par des capitaux étrangers, notamment la New York and Bermudez Company, propriété américaine, la Great Venezuelan Railway, gérée par des Allemands, et la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques.
Après une guerre civile sanglante qui a dévasté l'économie vénézuélienne et vidé les caisses de l'État, Castro a refusé de se plier aux exigences des impérialistes britanniques, qui détenaient d'importants prêts en suspens; des créanciers allemands, qui avaient massivement investi dans le pays; et de leurs partenaires juniors de l’Italie dont les citoyens dominaient une grande partie des affaires et du commerce vénézuélien.
Les puissances européennes exigèrent le paiement immédiat des dettes et des réparations pour les biens détruits lors de la guerre civile, qu'elles avaient elles-mêmes déclenchée. Elles étaient déterminées à imposer leur volonté par un blocus naval. Castro ignora les ultimatums, tout en faisant appel au sentiment nationaliste populaire, qui éclata en émeutes et pillages d'entreprises étrangères.
Le président américain Theodore Roosevelt, impérialiste convaincu, n'était pas opposé par principe à ce que les grandes puissances capitalistes aient recours à l'agression armée pour s'emparer des richesses de pays opprimés. On lui attribue ces propos tenus à un diplomate allemand: «Si un pays d'Amérique du Sud se comporte mal envers un pays européen, que ce dernier le corrige.» Il ajouta cependant que «la punition ne doit pas prendre la forme d'une acquisition territoriale par une puissance non américaine.»
Cet avertissement réaffirmait la doctrine Monroe, pierre angulaire de la politique étrangère américaine énoncée pour la première fois par le président James Monroe, qui déclara en 1823: «Les continents américains, de par la condition libre et indépendante qu’ils ont assumée et qu’ils maintiennent, ne doivent désormais plus être considérés comme des sujets de colonisation future par aucune puissance européenne.»
À la fin du siècle, cet avertissement anticolonial et d'inspiration démocratique adressé aux souverains européens avait déjà subi une nette transformation. Il avait été invoqué par le gouvernement américain pour justifier l'annexion du Texas en tant qu'État esclavagiste et le vol, par la guerre, de plus de la moitié du territoire mexicain en 1848. Ce processus s'accéléra rapidement avec la guerre hispano-américaine de 1898, la prise de contrôle par les États-Unis des possessions coloniales espagnoles et l'émergence des États-Unis sur la scène mondiale comme grande puissance impérialiste déterminée à s'emparer par l'agression militaire des marchés et sources de matières premières et de main-d'œuvre bon marché.
Durant la crise de 1902, le gouvernement vénézuélien de Castro sollicita la médiation de Washington dans le conflit sur les dettes impayées. Roosevelt accepta et appela les gouvernements britannique et allemand à se retirer. Si les Britanniques se montrèrent conciliants, l'empereur Guillaume II, qui avait supervisé l'ascension de l'Allemagne au rang de grande puissance militaire, dotée de la plus grande armée du monde et d'une flotte navale surpassée seulement par celle de la Grande-Bretagne, était déterminé à assurer la place au soleil du capitalisme allemand.
Roosevelt craignait que l'Allemagne n'exploite la crise vénézuélienne pour s'emparer de bases navales stratégiques contrôlant les voies maritimes des Caraïbes et, en particulier, l'accès au canal stratégique qu'il projetait de construire à travers l'isthme d'Amérique centrale, reliant l'Atlantique et le Pacifique. Il lança un ultimatum à l'Allemagne, qui devait accepter la médiation américaine et retirer ses navires de guerre.
Le président américain informa l'ambassadeur allemand que Washington rassemblait sa propre armada au large de Porto Rico, sous le commandement de l'amiral George Dewey, célèbre pour sa victoire décisive contre la flotte espagnole dans la bataille de la baie de Manille en 1898, aux Philippines. Face à la perspective d'une guerre contre les États-Unis dans des conditions où il lui serait difficile de ravitailler ou de renforcer sa flotte, l'Allemagne se retira.
Le conflit vénézuélien s'est avéré crucial dans l'élaboration de ce qui est devenu le corollaire Roosevelt à la doctrine Monroe et fut annoncé par le président américain dans son discours annuel au Congrès en 1904. Cela était dû en grande partie au fait que les puissances européennes qui avaient mis en œuvre le blocus, après avoir porté leur affaire devant la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, avaient bénéficié d'un traitement préférentiel par rapport aux États-Unis en matière de règlement des créances.
Empreint d'arrogance impérialiste, le discours de Roosevelt laissait entendre que les nations latino-américaines qui se comportaient «avec une efficacité et une décence raisonnables» n'avaient rien à craindre des États-Unis. Il ajoutait cependant: «Des injustices chroniques, ou une impuissance entraînant un relâchement général des liens de la société civilisée, peuvent, en Amérique comme ailleurs, nécessiter en fin de compte l'intervention d'une nation civilisée. »
Roosevelt indiquait clairement que l'impérialisme américain s'arrogeait le droit exclusif d'exercer un «pouvoir de police international» dans l'hémisphère occidental. Si les pays d'Amérique latine devaient être «corrigés», leurs ports bombardés, leurs citoyens massacrés et leurs bureaux douaniers saisis, ce seraient les États-Unis qui s'en chargeraient, et non leurs rivaux européens.
Le corollaire étendu de la doctrine Monroe proclamé par Roosevelt fut rapidement exécuté à travers une vague d'interventions, d'invasions et d'occupations. Cette offensive impérialiste fut résumée succinctement par le major-général du Corps des Marines, Smedley Butler, en 1935. Revenant sur ses 33 années de carrière chez les Marines, Butler déclara:
J'ai passé l'essentiel de ma vie comme homme de main haut de gamme pour le monde des affaires, Wall Street et les banquiers. Bref, j'étais un racketteur, un gangster au service du capitalisme. En 1914, j'ai contribué à sécuriser le Mexique, et notamment Tampico, pour les intérêts pétroliers américains. J'ai aidé à faire d'Haïti et de Cuba des lieux sûrs pour que les gars de la National City Bank puissent y collecter les recettes. J'ai participé au viol d'une demi-douzaine de républiques d'Amérique centrale au profit de Wall Street. De 1902 à 1912, j'ai contribué à assainir le Nicaragua pour la banque internationale Brown Brothers. En 1916, j'ai apporté la lumière à la République dominicaine pour les intérêts sucriers américains. En 1903, j'ai aidé à rendre le Honduras favorable aux compagnies fruitières américaines. En Chine, en 1927, j'ai veillé à ce que la Standard Oil puisse poursuivre ses activités sans encombre. Avec le recul, j'aurais peut-être pu donner quelques conseils à Al Capone. Il n'a réussi qu'à mener ses activités criminelles sur trois districts. Moi, j'opérais sur trois continents.
Le Venezuela n'a pas été épargné pour autant. Washington a contribué à orchestrer en 1908 ce qu’on appellerait aujourd'hui une opération de changement de régime en installant le vice-président et ex-compagnon d'armes de Castro, Juan Vicente Gómez, au palais présidentiel pendant que Castro se faisait soigner en Europe.
Gómez, qui invita immédiatement Washington à envoyer des canonnières pour «stabiliser» la situation, gouverna le pays en dictateur jusqu'à sa mort en 1935. Il invita également Matos, le riche banquier qui avait mené la soi-disant «Révolution libératrice» soutenue par des capitaux étrangers, à revenir au Venezuela pour prendre en charge ses relations extérieures.
La dictature de Gómez était connue pour sa répression brutale, notamment sa fermeture des universités vénézuéliennes pendant une décennie en représailles des manifestations étudiantes. Pour étouffer toute opposition politique, il utilisait systématiquement les meurtres, les disparitions et des méthodes de torture empruntées à l'Inquisition espagnole.
Les opposants politiques furent emprisonnés sans procès et, dans de nombreux cas, moururent lentement de faim dans la tristement célèbre prison de La Rotunda à Caracas. Des milliers d'entre eux périrent au travail comme forçats dans les bagnes, notamment à la construction de routes et de voies ferrées. Des dizaines de milliers d'autres s'exilèrent.
Surnommé «le Poisson-chat», Gómez acquit une triste réputation internationale. Le magazine Time compara sa répression à celle d'Hitler, de Mussolini et de Staline: «Les polices secrètes d'Allemagne, de Russie et d'Italie sont des organisations remarquables. Elles font pâle figure comparées à celles du dictateur Gómez.»
Dans son ouvrage de 1941, «Au cœur de l’Amérique latine», l’écrivain et journaliste américain John Gunther dressait un portrait glaçant du dictateur vénézuélien: «Le Poisson-chat était – ne minimisons pas ce fait – un scélérat meurtrier. Il recourait à des tortures d’une brutalité inconcevable; les prisonniers politiques, qui se comptaient par milliers, agonisaient avec des fers aux jambes (grifos) qui les rendaient infirmes à vie, à moins d’être pendus la tête en bas – par les testicules – jusqu’à ce que mort s’ensuive. D’autres devenaient littéralement de la boue humaine. Gómez était tout à fait capable d’en choisir un sur dix au hasard et de le pendre – avec des crochets à viande plantés dans la gorge!» (Souligné dans le texte original.)
La répression féroce de Gómez, son anticommunisme virulent et sa haine des syndicats ont trouvé un écho favorable à Washington et auprès des compagnies pétrolières américaines, qui allaient devenir la force dominante au Venezuela après le forage du premier puits en 1912, dans le bassin de Maracaibo. En un peu plus d'une décennie, le Venezuela allait devenir le premier exportateur mondial de pétrole et le deuxième producteur, derrière les États-Unis.
Gómez s'est arrogé le pouvoir unilatéral d'octroyer des concessions à des entreprises étrangères, notamment à la Standard Oil (propriété des Rockefeller), leur cédant le contrôle de vastes étendues de territoire. Il est rapidement devenu l'homme le plus riche du Venezuela, tout en laissant la part du lion des richesses du pays à Wall Street et au pillage des compagnies pétrolières. Il utilisait une partie de ses pots-de-vin pour acheter la loyauté de ses partisans et celle de l'armée.
À suivre.
(Article paru en anglais le 30 décembre 2025)
